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Sanctions en Syrie : Plongée dans le club international des pro-Assad

Syrie Factuel

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Une campagne internationale à destination des États-Unis, de la France et de la Grande Bretagne appelle à la levée des sanctions contre le régime syrien. Un plaidoyer mensonger qui passe sous silence la responsabilité majeure du régime dans le désastre syrien, et l’occasion d’une plongée inédite et exhaustive dans l’écosystème international des pro-Assad.

« Nous vous conjurons, Monsieur le Président, d’aider les Syriens à alléger une crise humanitaire qui menace d’entraîner une nouvelle vague d’instabilité au Moyen-Orient et au-delà […] en vous assurant que les sanctions économiques appliquées en France et en Europe ne violent pas les droits humains du peuple syrien et n’aggravent pas la situation humanitaire déjà désastreuse en Syrie. » Voilà l’appel qu’a reçu Emmanuel Macron le 21 janvier dernier, à l’instar de son homologue américain fraîchement investi Joe Biden ainsi que du Premier ministre britannique Boris Johnson.

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Cette série de lettres ouvertes avec pour objectif affiché d’apaiser le martyr de la population syrienne cache en réalité une campagne d’influence lancée par des alliés du régime syrien.

Depuis 2011, le régime de Bachar al-Assad est la cible de sanctions américaines et européennes destinées à maintenir la pression sur le régime pour arriver à une solution politique. La mise en place du Caesar Act par l’administration américaine en juin dernier a encore resserré l’étau sur le régime de Damas.

Photo de famille

Les lettres destinées à Emmanuel Macron et Joe Biden ont été relayées sur les réseaux sociaux par l’association SOS Chrétiens d’Orient. Une ONG se revendiquant « apolitique » en réalité dirigée par des militants français d’extrême droite et proche du régime d’Assad. Dous couvert d’aide humanitaire aux chrétiens, elle apporte en réalité son soutien à des milices chrétiennes accusées de crimes de guerre et collabore avec le Syria Trust for Development (STD), organisation dirigée par la femme du dictateur syrien, Asma al-Assad, comme l’a révélé Mediapart. Asma al-Assad est elle-même ciblée par les sanctions européennes et américaines depuis juin.

Le directeur général de SOS Chrétiens d’Orient, Benjamin Blanchard, ancien militant de la Manif pour Tous et ex assistant parlementaire d’élus du Rassemblement national (RN), est l’un des nombreux signataires de cette campagne contre les sanctions. On yretrouve également le président de l’ONG, Charles de Meyer, actuel assistant parlementaire de l’eurodéputé RN Thierry Mariani, également signataire. Ce dernier — qui a rendu visite pas moins de six fois à Bachar al-Assad après la rupture des relations diplomatiques avec la France — est aussi l’une des principales pro-Poutine en France.

Thierry Mariani à la rencontre de Bachar al-Assad à Damas en août 2019. Source : SANA

La liste de signataires constitue une rare photo de famille des principaux défenseurs d’Assad en Europe et aux États-Unis. Toujours chez les signature français figure par exemple Gérard Bapt. L’ex député socialiste, qui a défié la diplomatie française sur le dossier Syrien pendant tout le mandat de François Hollande, a aussi été un visiteur régulier d’Assad, avec pas moins de 6 voyages au compteur depuis 2015. En 2017 il avait publiquement rendu hommage au général syrien et criminel de guerre Issam Zahreddine. « Qu’il repose en paix », avait-il écrit sur sa page Facebook.

Également au centre de cette campagne, le propagandiste Pierre Le Corf, proche de SOS Chrétiens d’Orient. Ce Français de 31 ans s’était rendu à Alep dès 2016, côté régime. En décembre de la même année, le jeune vidéaste, qui ne manque jamais une occasion de dénoncer « la propagande occidentale », « célèbre » la reprise d’Alep par l’armée syrienne.

Tous les chemins mènent à Damas

Un autre fervent soutien d’Assad, Jean-Clément Jeanbart, archevêque grec-melkite catholique d’Alep dont la fondation a été financée par SOS Chrétiens d’Orient, est aussi parmi les signataires, tout comme Nabil Antaki, membre des Maristes bleus d’Alep et dont les plaidoyers en faveur d’une normalisation des relations diplomatiques avec le régime ont été repris sur des sites d’extrême droite français comme Breizh-Info et qui avait accueilli Pierre Le Corf à son arrivée à Alep en 2016.

Parmi les autres signataires, on retrouve aussi José Bustani. Ancien directeur de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), il est associé à la Courage Foundation, organisation rattachée à WikiLeaks qui avait recueilli le témoignage du « lanceur d’alerte » de l’OIAC, surnommé « Alex ». Alex (plus tard identifié comme l’ex employé de l’OIAC Brendan Whelan) avait fourni à l’organisation de Julian Assange des documents censés prouver que l’enquête de l’OIAC sur l’attaque chimique de Douma en 2018 était une fabrication. Des « révélations » déjà démenties en long, en large, et en travers.

Caroline Cox, baronne pro-Assad membre de la Chambre des Lords est également signataire. Elle est la fondatrice de l’Humanitarian Aid and Relief Trust (HART), organisation également liée à Pierre Le Corf. Le Christian Solidarity International, ONG à l’origine de cette campagne et dont Caroline Cox a été membre, est connu notamment pour ses opérations de rachat d’esclaves chrétiens au Soudan. Des opérations qui pourraient permettre de financer des groupes armés chrétiens accusés, eux aussi, de crimes de guerre.

Dernier signataire notable de cette campagne : Peter Ford, ancien ambassadeur britannique en Syrie. Il est membre de l’European Centre for the Study of Extremism (EuroCSE), une organisation qui avait invité lors d’une de ses conférences la propagandiste pro-Assad Vanessa Beeley, bien que cette dernière n’a pas signé l’appel à la levée des sanctions. Ford est également le directeur de la British Syrian Society, organisation pro-Assad fondée par le beau-père de Bachar al-Assad en personne, Fawaz Akhras.

Une rapporteuse de l’ONU sur des organes de propagande

Cet appel s’appuie sur le travail de la rapporteuse spéciale des Nations unies sur l’impact négatif des mesures coercitives unilatérales, Alena Douhan. Dans une déclaration publiée le 29 décembre 2020, elle accuse les sanctions américaines de « violer les droits humains du peuple syrien, dont le pays a été détruit par près de 10 ans d’un conflit toujours en cours », sans jamais mentionner la responsabilité du régime d’Assad.

Les Nations unies rappellent que les rapporteurs spéciaux « travaillent sur la base du volontariat, ne font pas partie du personnel des Nations Unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et servent à titre individuel. »

Alena Douhan est professeure de droit international à l’Université d’État de Biélorussie, un établissement proche du régime d’Alexandre Loukachenko et dont plusieurs cadres sont sanctionnés par l’UE pour leur rôle dans la répression de l’opposition biélorusse. Le président Biélorusse est un allié de Bachar Al-Assad, qu’il avait félicité pour sa réélection frauduleuse en 2014. Le président syrien lui avait retourné la politesse en 2020.

Photo publiée par Pierre Le Corf le 26 janvier 2021 pendant son entretien avec la rapporteure spéciale Nations Unies aux sanctions unilatérales contre la Syrie, Alena Douhan. Source

En novembre 2020, Alena Douhan intervenait sur la chaîne de propagande pro-Kremlin RT, financée par le régime de Vladimir Poutine. En octobre, elle était sur Press TV, chaîne financée et contrôlée par le régime iranien, pour dénoncer les effets des sanctions américaines en Syrie, mais aussi en Iran et au Venezuela.

Alena Douhan a également accordé une interview au site conspirationniste et pro-Kremlin The Grayzone, en janvier 2021. Le site a été fondé par Max Blumenthal, ancien journaliste opposé à Assad qui a retourné sa veste après un voyage à Moscou. Son site a été en tête des relais de la campagne de WikiLeaks visant à discréditer l’enquête de l’OIAC sur l’attaque chimique de Douma. Campagne dont de nombreux participants réaparaissent dans cet appel international à la levée des sanctions en Syrie.

Dans un post Facebook publié le 26 janvier 2021, Pierre Le Corf écrivait, photo à l’appui : « Hier je discutais avec Alena Douhan, la rapporteuse spéciale des Nations Unies aux sanctions unilatérales contre la Syrie pour essayer de bouger dans le même sens ensemble. »

Consultez la liste des élus français qui se sont rendus en Syrie depuis 2014 et des personnalités qu’ils y ont rencontrées, réalisée par Syrie Factuel. Si vous disposez d’informations permettant de la compléter, merci de nous contacter via syriefactuel@protonmail.com, Twitter, ou Facebook.

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