Illustration Syrie Factuel

Plus d’une trentaine d’élus français ont rendu visite à Assad depuis 2014

La diplomatie française a cessé toute relation avec le régime syrien en mars 2012. Mais, selon le décompte de Syrie Factuel, 32 élus français ont pourtant pris le chemin de Damas depuis 2014 pour y rencontrer Bachar al-Assad ou d’autres figures officielles, lui permettant ainsi de diffuser sa propagande.

Syrie Factuel

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La position officielle de la France sur le conflit syrien est, au moins sur le papier, claire : priorité à la lutte contre Daech, à l’amélioration de la situation humanitaire et la lutte contre l’impunité de « tous les crimes de guerres ». Appelant initialement au départ de Bachar al-Assad, le Quai d’Orsay a finalement revu sa position notamment suite à l’intervention russe de 2015, prônant une « solution politique » répondant « aux aspirations légitimes de tous les Syriens ». Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, avait déclaré au Progrès « une Syrie unie implique une transition politique. Cela ne veut pas dire que Bachar al-Assad doit partir avant même la transition, mais il faut des assurances pour le futur ». Suite à la répression des mouvements pacifiques de contestation par le régime de Damas, la France n’entretient plus de contacts officiels avec les autorités syriennes depuis 2012. Pourtant, certains parlementaires français ont malgré tout maintenu le lien avec le régime pendant le conflit.

Selon le décompte réalisé par Syrie Factuel, 32 élus français au total, majoritairement des députés, se sont rendus en Syrie entre octobre 2014 et septembre 2021. Au moins sept visites ont eu lieu entre février 2015 et janvier 2017, avec un pic d’activité au cours de la première année.

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Les élus de la droite y sont majoritaires, avec 21 inscrits chez Les Républicains comme Thierry Mariani, Jacques Myard, Nicolas Dhuicq, Valérie Boyer ou encore Jean-Frédéric Poisson. Sous la présidence de François Hollande, cinq parlementaires de la majorité PS se sont également rendus en Syrie, dont Gérard Bapt et le sénateur Bernard Cazeaux. Au RN ils sont au total de sept, généralement sous la houlette de Thierry Mariani. Les Français ne sont pas les seuls à rendre visite au dictateur syrien : des délégations italiennes, hongroises, polonaises, allemandes ou encore américaines ont également déjà fait le voyage.

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En France, c’est l’extrême droite qui a ouvert la marche en octobre 2014 avec Robert Ménard, alors tout juste élu maire de Béziers et affiliée à ce qui était encore à l’époque le Front national. En jumelant sa commune avec celle de Maaloula, présentée comme un bastion de la résistance chrétienne face à l’envahisseur islamiste, il affirmait ainsi vouloir attirer l’attention sur le sort des chrétiens d’Orient.

Robert Ménard en visite à Damas, le 11 octobre 2014, aux côtés de Benjamin Blanchard, directeur général de SOS Chrétiens d’Orient (à gauche). Source : SANA.

Un voyage fait figure d’exception : celui de la délégation menée par Cécile Duflot en décembre 2016, alors députée EELV, qui avait tenté de rejoindre Alep assiégée, avec l’assentiment du gouvernement français de l’époque. Ils avaient finalement été retenus à la frontière turque. Ces quatre parlementaires ne sont donc pas pris en compte dans notre analyse. La totalité des autres élus que nous avons examinés, et qui eux ont pu rejoindre leur destination, se sont rendus à Damas ou en territoire contrôlés par le régime et sans le soutien du gouvernement français.

Gérard Bapt et Thierry Mariani, tour-operators en Syrie

Plusieurs de ces élus étaient membres du groupe d’amitié France-Syrie, présidé par Gérard Bapt jusqu’en 2017, ainsi que du Groupe d’étude sur les Chrétiens d’Orient, alors présidé par Véronique Besse, où l’on retrouve pas moins de 14 députés.

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Parmi eux, Thierry Mariani et Gérard Bapt ont joué un rôle central dans l’organisation de ces voyages. Ils se sont rendus en Syrie au moins six fois. L’ex-président du Groupe d’amitié France-Syrie a piloté au moins deux visites et a été associé à une troisième. Après la fin de son mandat de député, il y a encore effectué trois autres séjours. Il a toujours nié avoir rencontré Bachar Al-Assad lors de son premier périple, en février 2015.

Thierry Mariani et sa délégation rencontrent Bachar Al-Assad, le 8 janvier 2017. Source : SANA

Thierry Mariani a quant à lui piloté trois visites en tant que député LR. Il en a également effectué deux dans la période où il n’avait plus de mandat. Il a rencontré Bachar al-Assad cinq fois en tout. Enfin, en août 2019, désormais eurodéputé pour le RN, il dirige une autre délégation avec trois de ses collègues, dont Nicolas Bay, qui part là-aussi rencontrer le président syrien. On note à cette occasion la présence d’Andréa Kotarac, tout juste passé au RN en 2019, et toujours conseiller régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Il avait déjà accompagné Thierry Mariani pour une rencontre avec la chambre de commerce de Damas, l’année précédente, alors qu’il était encore à la France Insoumise.

L’ONG SOS Chrétiens d’Orient, dont de nombreux membres sont des militants d’extrême-droite, est intervenue dans l’organisation de plusieurs de ces voyages. Bien qu’elle se défende de faire de la politique, cette organisation pousse à la normalisation des relations avec le régime de Damas, dont elle relaie abondamment la propagande. On la retrouve également dans l’organisation de circuits touristiques ou de voyages de blogueurs qui, tous, portent le même discours d’une nécessaire reprise de l’activité économique et donc d’une levée des sanctions internationales dans un pays présenté comme pacifié.

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Plusieurs voyages, un seul objectif : réhabiliter Bachar

La chercheuse Manon-Nour Tannous qualifie ces voyages de « diplomatie de parlementaires et non de diplomatie parlementaire », décrivant des « acteurs [qui] capitalisent à la fois sur leur statut officiel (celui d’élus), et sur le motif de la transgression à un moment où la politique syrienne de la France est questionnée ». En d’autres termes, ces voyages permettent avant tout à des députés de faire entendre une voix originale et dissonante et d’obtenir une couverture médiatique en affichant une opposition au gouvernement français sur un sujet brûlant.

Des actions que Bertrand Ollivier qualifie quant à lui de « non coordonnées, aux objectifs divers, impliquant à la frontière de l’officiel et de l’officieux l’action des Présidents des groupes d’amitié parlementaires France-Syrie au Sénat et à l’Assemblée nationale». Mais au final, ces voyages ont toujours été selon lui le vecteur d’un discours communément porté par tous ceux qui y ont participé : une critique de la position française vis-à-vis du régime accompagnée d’un appel à rouvrir les relations diplomatiques avec Damas.

En réalisant ce genre de voyages, les élus français obéissent donc à des stratégies individuelles et politiciennes qui leurs sont propres. Ils permettent par exemple à Thierry Mariani d’asseoir sa stature de député pro-Poutine en vantant l’action de la Russie en Syrie. En accueillant à bras ouverts des officiels français prêts à critiquer la position de la France vis-à-vis de son régime, Bachar al-Assad trouve ainsi des portes-parole qui relateront la situation en Syrie de son point de vue, et non pas de celui de l’opposition.

En rendant visite à des personnalités du monde économique syrien, les délégataires français relaient notamment l’idée qu’il faudrait lever les sanctions françaises contre le régime car elles ne feraient qu’appauvrir les Syriens. Or, ces représentants gravitent dans l’orbite de Damas. Le système installé par Hafez al-Assad et poursuivi par son fils est en effet basé sur la concentration des richesses au bénéfice de la famille et du clan Assad. Une captation des richesses à laquelle l’aide humanitaire n’échappe pas.

Thierry Mariani et Hala Chaoui, présidente de l’ONG al-Karma et amie d’Asma al-Assad, la femme de Bachar. Source : Twitter

Les parlementaires français ont la plupart du temps rencontré des élus de l’Union des Chambres de commerce syrienne comme Mohammed Hamsho - proche de Maher al-Assad, le fils cadet du président et commandant de la 4e division blindée, et qui fait lui-même l’objet de sanctions internationales. Autre personnage récurrent de ces visites : Hala Chaoui, présidente d’Al-Karma - une ONG proche de SOS Chrétiens d’Orient - et amie personnelle d’Asma Al-Assad, la femme du président. Autant de figures qui ont un intérêt avant tout personnel dans la levée des sanctions internationales. En outre, la situation économique s’est considérablement dégradée y compris dans les zones sous contrôle du régime. Le retour des investissements étrangers est cruciale pour la survie d’Assad qui ne peut se maintenir au pouvoir que grâce au soutien de ses parrains étrangers.

L‘argument de la guerre des civilisations

Le président Syrien dispose aussi d’un discours spécialement calibré pour ses visiteurs occidentaux. Conscient de la sensibilité des élus, notamment de droite, sur le sort des minorités chrétiennes ainsi que de leur peur du djihadisme après les violents attentats commis en France à partir de 2015, le régime profite de ces rencontres pour se présenter en défenseur laïque des chrétiens face à une rébellion invariablement assimilée au terrorisme islamiste.

Il s’affiche ainsi en allié de l’Occident dans une supposée guerre des civilisations face à l’Islam. Pour porter ce discours, les délégations françaises ont régulièrement rencontré les représentants des différentes communautés religieuses syriennes comme le patriarche syriaque orthodoxe Ignace Ephrem II Karim, le nonce apostolique Mario Zenari ou encore le Grand Mufti Ahmad Badreddine Hassoun.

Le Grand Mufti fait pourtant un piètre rempart contre le terrorisme. En 2011, il avait menacé l’Europe et les États-Unis d’attentats kamikazes en cas d’intervention en Syrie : « Je dis à toute l’Europe et aux États-Unis : nous préparerons des martyrs parmi ceux qui vivent déjà parmi vous, si vous bombardez la Syrie ou le Liban ». Selon Middle East Eye, ce responsable religieux disposerait même d’une habilitation présidentielle pour signer les ordres d’exécution de la prison de Saidnaya, véritable camp de la mort du régime ou des milliers de Syriens sont torturés et tués depuis des années.

La délégation conduite par Gérard Bapt rencontre le Grand Mufti Hassoun, le 29 septembre 2015. Source : SANA

Quant au régime, il avait en réalité répondu aux manifestations populaires en exacerbant les conflits inter-religieux et en organisant des massacres confessionnels pour monter les communautés les unes contre les autres. Au début de la révolution, il a lui-même libéré des djihadistes de ses geôles. Certains ont par la suite formé des groupes armés qu’Assad pointe désormais du doigt pour affirmer que la rébellion n’est constituée que de terroristes. Pour ce qui est des chrétiens, Damas serait en réalité responsable de plus de 60% des destructions des lieux de culte, selon le Syrian Network for Human Rights.

Le rôle du groupe d’amitié France-Syrie

Depuis février 2017 et le début de la mandature actuelle, les déplacements des élus du parlement français ont cessé. La dissolution temporaire du Groupe d’amitié France-Syrie, dont plusieurs membres ont participé à ces voyages, y a sûrement contribué.

Cette dissolution avait été déclenchée après une brève polémique liée aux visites à Damas et à l’activisme politique de son président, Gérard Bapt, et de Jacques Myard, son vice-président. Les positions de Gérard Bapt, investi dans la défense des chrétiens d’Orient, avaient suscité à plusieurs reprises de vives critiques de la part du groupe socialiste et du gouvernement lui-même.

Le 18 octobre 2017, Gérard Bapt partage un post de Benjamin Blanchard, directeur général de SOS Chrétiens d’Orient, en hommage à Issam Zahreddine, général de l’Armée arabe syrienne sous sanctions européennes pour sa « responsabilité dans les répressions violentes contre la populations civile ». Source : profil Facebook de Gérard Bapt

En 2016, alors qu’Abdel Rahman Al-Mawwas, vice-président de l’organisation de secours civils des Casques blancs était reçu à l’Assemblée nationale, le député socialiste avait par exemple déclaré vivre « très mal » ce qu’il considérait comme « une opération de communication » montée pour invisibiliser les souffrances des quartiers ouest d’Alep, tenus par le régime. Réagissant à l’une de ses initiatives syriennes, le président François Hollande avait d’ailleurs déclaré la condamner « parce qu’il s’agit d’une rencontre entre des parlementaires français qui n’ont été mandaté que par eux-mêmes, avec un dictateur à l’origine d’une des plus graves guerres civiles de ces dernières années.»

Pour le Sénat, les groupes d’amitiés « ont pour objet de développer des relations avec les assemblées parlementaires de pays ou d’ensemble de pays formant une entité géographique et historique, avec lesquels la France entretient des relations officielles », ce qui n’est donc plus le cas de la Syrie depuis 2012.

Un nouveau groupe d’amitié a malgré tout été mis sur pied en novembre 2017. Valérie Boyer, Xavier Breton et Jean Lassalle - qui ont déjà participé à ces voyages - en sont toujours membres. Le président actuel, Philippe Chalumeau (LREM), affirme que son activité est désormais consacrée au retour de la démocratie en Syrie. Il a ainsi reçu des représentants des Casques Blancs le 13 février 2018. Un style diamétralement opposé à celui de son prédécesseur.

Pour Bertrand Ollivier, ces visites de parlementaires français en Syrie ont bien eu des conséquences politiques : « Par l’attention médiatique qu‘elles suscitaient, par l’emballement politique qui en résultait, le Quai d’Orsay se trouvait constamment dans l’obligation d’avoir à justifier sa ligne politique, ce qui constituait une mise sous pression continue et, donc, un élément de fragilité ayant des répercussions sur la crédibilité diplomatique de Paris à l’international ».

Les rencontres de parlementaires avec Bachar al-Assad lui permettent également de médiatiser un discours pro-régime qui relativise ses crimes de guerre et décrédibilise l’opposition syrienne. Les élus qui ont effectué ces voyages participent ainsi à la stratégie globale d’influence du régime visant entre autres à modifier la perception qu’a l’opinion publique française du conflit syrien et de Bachar al-Assad lui-même.

Consultez la liste des élus français qui se sont rendus en Syrie depuis 2014 et des personnalités qu’ils y ont rencontrées, réalisée par Syrie Factuel. Si vous disposez d’informations permettant de la compléter, merci de nous contacter via syriefactuel@protonmail.com, Twitter, ou Facebook.

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