Iran, mandats d’arrêt, nouveau tribunal… L’actu syrienne de nov/déc 2023

Syrie Factuel
8 min readJan 2, 2024

Le conflit israélo-palestinien déborde en Syrie, tandis que le régime de Bachar Al-Assad, qui continue de bombarder l’enclave rebelle d’Idlib, se voit menacé par des décisions judiciaires historiques ainsi que par de nouvelles initiatives internationales.

Un civil syrien blessé par une frappe du régime sur un marché d’Idlib le 30 décembre 2023, selon la Défense civile syrienne. Source

Un « crime » qui ne « restera pas sans réponse ». C’est la menace proférée par le chef d’état-major des forces armées iraniennes suite à l’annonce de la mort de Razi Moussavi, le plus haut gradé des Gardiens de la révolution en Syrie. Ce général de brigade, présenté par Téhéran comme un « conseiller en antiterrorisme » auprès du régime syrien — qui fait partie avec la République islamique de « l’axe de la résistance » contre Israël — aurait succombé à un tir de missiles tirés par l’état hébreu le 25 décembre sur le quartier de Sayyida Zeinab.

Dans ce bastion de la présence iranienne en Syrie, bâti autour d’un lieu saint du chiisme situé au sud de Damas, un hommage officiel a été rendu à Razi Moussavi, dont le portrait a été affiché aux côtés de celui de Qassem Soleimani, ancien chef des opérations extérieures de l’Iran et architecte de la répression sanglante de la contestation anti-Assad par la république islamique, assassiné par les États-Unis en janvier 2020. Israël, comme à l’accoutumée, a refusé de confirmer sa responsabilité dans cette attaque. Mais depuis les massacres de civils israéliens commis le 7 octobre par le Hamas — également membre de « l’axe de la résistance » — les forces de l’état hébreu ont mené plusieurs actions contre des cibles liés à l’Iran sur le sol syrien.

Photo non datée du général Razi Moussavi aux côtés de l’ancien chef des opérations extérieures de l’Iran Qassem Soleimani (à droite), diffusée par l’agence de presse iranienne Tasnim le 25 décembre 2023.

Des raids aériens fréquents depuis plusieurs années mais qui ciblent désormais aussi des positions de l’armée syrienne, et ce sans que les forces russes — maîtresses de l’espace aérien syrien — n’en soient systématiquement prévenues au préalable par Israël, comme c’était l’usage. Pour l’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie Geir Pedersen, « le débordement [du conflit israélo-palestinien] sur la Syrie n’est pas juste un risque, cela a déjà commencé ». Le 30 décembre, 19 combattants pro-Iraniens ont également été tués en Syrie dans des frappes que l’Observatoire syrien des droits humains (OSDH) avait initialement attribuées par erreur aux États-Unis avant de déclarer à l’Agence France Presse qu’elles seraient « probablement israéliennes ».

Instrumentalisation

Le conflit israélo-palestinien reste en tout cas une arme politique majeure pour Bachar Al-Assad. Le 18 décembre, le président syrien a accusé les États-Unis d’avoir financé la montée du nazisme et déclaré qu’il n’y a « aucune preuve que six millions de juifs ont été tués » pendant l’Holocauste, avant d’expliquer que les juifs qui ont émigré en Israël seraient en réalité descendants des Khazars, un peuple d’Asie centrale, et n’auraient donc rien à voir avec les populations juives présentes en Palestine avant l’exode. Le dictateur syrien réactive ici un mythe historique largement utilisé dans la propagande antisémite contemporaine.

Dans le même temps, les relais de la propagande syrienne continuent de manipuler l’opinion publique sur le conflit israélo-palestinien, comme le documente Syrie Factuel depuis le 7 octobre. Selon l’analyse de Bellingcat, les plus gros propagateurs de fausses images de Gaza détournées de Syrie sont en effet des personnalités connues pour leurs liens avec les appareils de désinformation syrien et russe, notamment l’influenceur pro-Kremlin d’extrême droite Jackson Hinkle, l’ex député britannique d’extrême gauche George Galloway, passé par la chaîne de propagande iranienne PressTV, la chaîne du Hezbollah Al-Mayadeen et la chaîne du Kremlin RT, ou l’influenceuse complotiste australienne et proche du Parti social-nationaliste syrien (PSNS) Maram Susli.

Tout en profitant du fait que l’attention globale est focalisée sur la situation catastrophique des civils de la bande de Gaza pour intensifier ses bombardements sur l’enclave rebelle d’Idlib avec un niveau inédit depuis trois ans, le régime syrien profite aussi de la situation pour tenter de sortir d’un isolement diplomatique de plus en plus relatif en dénonçant les bombardements indiscriminés de l’armée israélienne.

Par la voix de son chargé d’affaires aux Nations unies, le régime syrien a été jusqu’à réclamer une enquête de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) sur l’usage de phosphore blanc par les forces israéliennes — dont l’utilisation a été démontrée notamment au sud du Liban où l’état hébreu affronte les forces du Hezbollah libanais, allié de Damas. Outre que l’usage de phosphore blanc ne relève pas forcément de la compétence de l’OIAC, la Syrie a elle-même perdu son statut de membre de la Convention pour l’interdiction des armes chimiques en 2021 en raison de ses violations répétées.

Dans le même temps, neuf civils dont six enfants ont été tués le 25 novembre par une frappe du régime syrien dans la province d’Idlib alors qu’ils cueillaient des olives, selon l’OSDH. Depuis le lancement de cette offensive en représailles à une attaque sur l’académie militaire d’Homs début octobre, 88 infrastructures civiles, dont des écoles ou des hôpitaux auraient été ciblés par le régime, faisant près d’une centaine de morts et plus de 120.000 déplacés. De nouvelles frappes ont également tué des civils à Idlib le 31 décembre puis dans la province d’Alep le 1er janvier, selon les Casques blancs. Plus de1.000 civils, dont 181 enfants et 150 femmes, on été tués depuis le début de l’année, selon le Réseau syrien pour les droits humains (SNHR).

Cette reprise des hostilités vient ajouter encore à la situation humanitaire dramatique du Nord-ouest syrien alors que le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies cesse son plan de soutien au 1er janvier en Syrie, faute de moyens financiers. 5,6 millions de Syriens en étaient bénéficiaires. Plus de 90 % des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté et plus de 12 millions sont en situation d’insécurité alimentaire, selon l’ONU.

Lors de sa participation au sommet d’urgence convoqué le 11 novembre par l’Organisation de la coopération islamique et la Ligue arabe — où il a été réintégré en mai 2023 — Assad a malgré tout condamné le bombardement par Israël « d’infrastructures civiles et d’hôpitaux pour forcer des déplacements de population ». Pour le média syrien d’opposition Enab Baladi, Assad « condamne en Palestine ce qu’il commet en Syrie ».

Si Assad a pu s’afficher en compagnie des principaux dirigeants de la région lors du sommet de la Ligue arabe du 11 novembre, son absence à la COP28 organisée quelques semaines plus tard à Dubaï a été très remarquée. Bien qu’officiellement invité, le président syrien a préféré se faire représenter par son Premier ministre, sans donner de justifications.

Des décisions judiciaires inédites

Pour des organisations de défense des droits humains en Syrie, l’explication serait simple : Bachar Al-Assad aurait simplement eu peur d’être arrêté. Le 14 novembre, la France a en effet émis un mandat d’arrêt international contre le président syrien ainsi que contre trois haut-gradés de l’armée syrienne, dont son frère, Maher. Tous sont considérés par les enquêteurs comme au cœur de la chaîne de commandement qui a donné l’ordre du bombardement chimique de la Ghouta orientale, en août 2013.

C’est la première fois qu’un chef d’État en exercice est poursuivi par une autre institution que la Cour pénale internationale (CPI). Une avancée saluée par les militants des droits humains en Syrie, mais dont l’aboutissement pourrait se révéler extrêmement complexe. Le 21 décembre, le Parquet national antiterroriste (Pnat) a annoncé avoir saisi la Cour d’appel de Paris pour qu’elle se prononce sur la validité du mandat d’arrêt émis contre le président syrien. Un mandat d’arrêt qui « introduit une exception au principe de l’immunité personnelle dont bénéficient les président, Premier ministre et ministre des Affaires étrangères en exercice de chaque État souverain », expose le Pnat, notant que seule la CPI est considérée comme légitime à y faire exception. « L’importance de cette question juridique et de ses conséquences exige qu’elle soit tranchée par une juridiction supérieure » avant un éventuel procès, argue le Pnat.

Le 30 novembre à La Haye, une douzaine de groupes de défense des droits humains en Syrie ont également annoncé une initiative pour la création d’un nouveau tribunal international capable de juger les auteurs d’attaques chimiques en Syrie et au-delà. Une annonce réalisée après deux ans de travaux discrets, auxquels ont participé les diplomates de 44 États, et qui doit déboucher sur la négociation d’un nouveau traité prohibant l’usage d’armes chimiques.

Ce futur tribunal est pensé comme une alternative à l’OIAC. Les Nations unies se sont en effet montrées incapables d’agir sur la base des conclusions de l’OIAC — qui n’a qu’un pouvoir d’enquête mais pas de poursuites — au sujet des attaques chimiques perpétrées par le régime d’Assad, notamment en raison du blocage de la diplomatie russe. De son côté, la CPI n’est pas en mesure d’enquêter sur le dossier syrien, Damas n’ayant jamais ratifié le statut de Rome, traité fondateur de l’institution, elle doit donc être saisie par le Conseil de sécurité des Nations unies, également bloqué par les vétos russes. Il n’existe à l’heure actuelle aucun organe juridique international consacré au crime spécifique des attaques chimiques.

Enfin, le 16 novembre, la Cour de justice internationale (CJR) a ordonné à la Syrie de mettre fin à l’usage systématique de la torture. Une décision rendue après l’examen d’une plainte déposée par le Canada et les Pays-Bas. Si le régime syrien a boycotté une bonne partie des audiences et balayé les accusations dont il fait l’objet, parlant de « désinformation et de mensonges », c’est la première fois que ses exactions sont officiellement condamnées par une juridiction internationale, dont les décisions sont en l’occurrence contraignantes, même si la CJR n’a dans les faits aucun moyen concret pour les faire respecter.

Disparitions

Ces avancées judiciaires qui se multiplient sont le fruit du travail de terrain mené par des militants syriens initié dès le début du conflit. La documentation des attaques chimiques d’août 2013 a notamment été réalisée par le Centre de Documentation des Violations, dont Razan Zaitouneh, avocate, écrivaine et figure de la révolution syrienne, était membre. Le 9 décembre marquait les dix ans de son enlèvement avec trois de ses camarades Waël Hamada, Nazem el-Hammadi et Samira el-Kallil en 2013. France Culture leur a consacré une émission spéciale.

Le groupe rebelle salafiste Jaych al-Islam est suspecté d’être responsable de leur kidnapping, ils sont portés disparus depuis lors. Un ancien membre de ce groupe armé sera jugé en France prochainement pour complicité de crimes de guerre en Syrie. La Cour d’appel de Paris a en effet confirmé le renvoi devant une cour d’assises de Majdi Nema, ancien porte-parole de Jaych al-Islam arrêté à Marseille en février 2020.

Une décision qui met fin à une bataille judiciaire concernant les applications de la « compétence universelle » permettant à la justice française de mener des poursuites pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre ou torture, même s’ils ont été commis en dehors du territoire national et n’impliquent pas de ressortissant français. Une remise en cause qui menaçait par ricochet des dizaines d’enquêtes préliminaires et d’informations judiciaires ouvertes en France au sein du parquet et du pôle d’instruction spécialisés dans les crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

Le 1er janvier 2024, le célèbre opposant syrien Riad Turk est décédé en France à l’âge de 93 ans. Militant communiste, ennemi juré d’Assad père et fils, condamné à 20 ans de prison, connu comme le « Mandela syrien » et exilé à Paris en 2018, il était considéré comme une mémoire de la révolution syrienne.

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Collectif citoyen francophone contre la désinformation sur la Syrie : des faits et du contexte ! https://twitter.com/SyrieFactuel