Alain Corvez sur RT France le 14 avril 2018. Illustration Syrie Factuel

Alain Corvez, « expert » de la guerre civile syrienne pour « médias alternatifs »

Syrie Factuel
6 min readApr 15, 2021

Au lendemain de l’attaque chimique de Douma en avril 2018, une vaste campagne de désinformation était lancée par Damas et son allié russe. Comme à chaque fois, le Kremlin a pu compter sur des relais locaux pour propager son narratif. En France, le colonel à la retraite Alain Corvez est l’un d’entre eux.

Le 7 avril 2018, le monde entier découvre les photos d’enfants syriens morts, les yeux vides et l’écume aux lèvres, tués par une nouvelle attaque chimique. Les clichés sont diffusés par de nombreux médias internationaux. Tous ? Non. « Au fait, et les preuves du chimique, elles sont où ? ». Voilà la question posée par le Média, le 9 mai 2018. Trois mois plus tôt, ce site confusionniste proche de la France Insoumise s’était félicité de ne diffuser aucune image des bombardements russes et syriens sur la Ghouta, parce qu’elles seraient « non-vérifiées ». Pendant que Claude El-Khal prétendait donner une leçon de déontologie à la terre entière, de vrais journalistes, eux, travaillaient pourtant à authentifier ces images.

Le Média le 17 mai 2018. Source

L’invité de l’émission du 9 mai (disparue du web) n’est autre que l’ex colonel d’infanterie Alain Corvez, habitué des plateaux de télé de la chaîne de propagande du Kremlin RT France. Avec son appui, l’animateur Jacques Cotta met en doute l’Évaluation nationale sur l’attaque de Douma réalisée par les services de renseignements français, rendue publique le 14 avril 2018, reproche à ses confrères leur manque de scepticisme à l’égard de ce document officiel et, plus insidieusement, balaie d’un revers de main les preuves indépendantes accessibles en plus du rapport français.

Un complot franco-britannico-américano-turc ?

Cotta se gardera bien de relever les incohérences prononcées par son invité le 14 avril 2018 sur RT France qui l’ invite alors à s’exprimer sur les frappes occidentales « punitives ». Corvez semble dans un premier temps reprendre la version officielle syrienne et russe selon laquelle il n’y a pas eu de bombardements chimique, mais une mise en scène destinée à « faire croire à une attaque chimique de la part des forces syriennes ». Il pointe même la responsabilité supposée des services britanniques, des services turcs, des Américains et peut-être des Français. Les Turcs auraient donc aussi soutenu les frappes parce qu’elles auraient permis de détruire les preuves de ce complot quadripartite. Puis dans un second temps, Alain Corvez penche pour la théorie selon laquelle les « terroristes jihadistes » auraient eux-mêmes commis l’attaque pour « essayer de sauver leur dernière chance de rester dans la Douma ». Au cours de la même émission, le colonel assure donc que l’attaque chimique a été commise par des puissances étrangères, puis qu’elle aurait en fait été commise par des groupes armés locaux.

Si les « terroristes jihadistes » — selon ses termes, de Jaych al-Islam, un groupe salafiste autoritaire — avaient commis l’attaque pour rester à Douma, il faut donc supposer, selon le raisonnement de Corvez, que c’est parce qu’ils espéraient ainsi déclencher une intervention étrangère contre Assad. Pourtant, dès le lendemain matin de l’attaque chimique, les rebelles se sont en fait rendus : « Bien sûr, l’attaque chimique est ce qui nous a poussé à accepter [d’abandonner Douma] » avait même déclaré Yasser Dalwan, un membre haut-placé de Jaych al-Islam.

Quelles sont les indications d’une mise en scène ? D’un complot quadripartite ? D’un bombardement chimique rebelle dirigé contre leur propre territoire ? En bref, pour reprendre les termes du Média : « Où sont les preuves ? ». Autant de question que Jacques Cotta ne posera jamais à son interlocuteur.

Un séjour en Syrie avec Alain Soral

Le CV d‘Alain Corvez, officier et « conseiller en stratégie internationale » peut impressionner. Il y manque cependant quelques éléments qui remettent en cause son objectivité. Soutien de longue date du régime syrien, Alain Corvez écrit dès le 21 mai 2011 un premier texte à caractère conspirationniste dénonçant notamment un complot américain contre Damas. Intitulé « La Syrie, objet de toutes les attaques », il est d’abord publié sur le site internet France-Irak Actualités, géré par l’ancien soutien de Saddam Hussein Gilles Munier, puis le 2 juin sur Infosyrie.fr. Ce site de « réinformation » a été fondé par Frédéric Chatillon, ex gudard et ancien conseiller de Marine Le Pen, dont la société de conseil en communication Riwal et sa filiale syrienne étaient prestataires de services pour le régime d‘Assad. Le site prétendait réunir « une équipe de spécialistes de géopolitique et du Proche-Orient [qui] ont décidé de réagir en publiant un point de vue alternatif à l’unanimisme en vigueur dans la presse occidentale » : pour résumer, minimiser l’ampleur de la contestation et de la répression.

C’est donc sur le site de Châtillon qu‘Alain Corvez publiera le récit de son voyage effectué en Syrie aux côtés de l’essayiste d’extrême-droite Alain Soral. Du 21 au 24 août 2011, ils s’y sont rendus sur l’invitation d’une ONG syrienne inféodée au régime, en compagnie de 150 à 200 autres personnalités de diverses nationalités, dont plusieurs journalistes. L’événement, intitulé « Syria is fine » (la Syrie se porte bien), avait pour objectif de montrer la « réalité » de la situation dans le pays, bien que la visite fût restreinte à Damas et Hama et alors que le régime limitait et contrôlait par ailleurs fermement la délivrance de visas aux journalistes étrangers et leur liberté de circulation hors des zones sous contrôle. Déjà, Alain Corvez rendra compte dans son texte d’un complot des Américains, entre autres, « utilisant les milices terroristes islamiques pour tenter de renverser le pouvoir » de Damas.

Alain Corvez est par ailleurs membre du « Collectif pour la Syrie », une association franco-syrienne pro-régime qui eu pour président d’honneur l’ancien ambassadeur de France Michel Raimbaud , également invité régulier pour… Le Média. Le collectif est désormais présidé par l’ex député socialiste pro-Assad Gérard Bapt. On retrouve sans surprises Corvez sur divers médias souvent marqués à l’extrême droite, comme le Cercle Aristote de Pierre-Yves Rougeyron, ancien assistant parlementaire du député d’extrême-droite poutinophile Jean-Luc Schaffhauser, le Cercle des Volontaires ou encore Égalité et Réconciliation, le site… d’Alain Soral.

État profond et guerre froide

Mais d’autres interventions de Corvez sont plus confidentielles et plus parlantes encore. Selon un article d’Al-Manar, média libanais majoritairement détenu par le Hezbollah, Alain Corvez aurait accordé une interview à une télévision d’état syrienne dans laquelle il évoquait le rôle d’Israël dans un complot visant à déstabiliser la Syrie, près de deux mois après son voyage avec Soral à Damas et Hama en 2011. Il a également été interviewé par le Syria Times, site affilié au ministère syrien de l’Information, selon lequel il a aussi participé à un symposium sur le thème des « Dimensions géopolitiques de la guerre en Syrie », à l’Université de Damas en octobre 2016 et en présence de Bouthaina Chaabane, conseillère politique et média d’Assad en personne.

Le conspirationnisme, ingrédient essentiel dans la propagande du régime de Damas, habite nombre des écrits et vidéos de l’ancien colonel. Si sa pensée devait être synthétisée, elle se présenterait sans doute ainsi : le monde est dominé par « l’État profond » américain, dont l’idéologie au service de sa suprématie, « capable d’intoxiquer toute la planète si elle le veut », est diffusée par les médias du monde entier, possédés par quelques milliardaires. Toujours selon lui, c’est probablement cet « État profond » seul qui a « fabriqué » l’Union Européenne, laquelle est donc vassalisée aujourd’hui encore, « pour avoir un glacis de protection contre l’URSS et maintenant contre la Russie ». Faudrait-il aussi voir la main des États-Unis dans l’affaire Skripal, « qui a été préparée à l’avance et dont on déroule maintenant le scénario […] pour faire une sorte de déclaration de guerre à la Russie » ? N’oublions pas évidemment quelques théories antisémites sur l’existence d’Israël distillées, encore une fois donc, chez Alain Soral (à partir de 16 min).

Pour bénéficier d’un éclairage sur la Syrie et plus particulièrement sur le rapport des services de renseignement français concernant l’attaque de Douma, Jacques Cotta a donc choisi pour Le Média de s’en remettre à l’un des plus anciens soutiens du régime syrien en France, adepte de théories conspirationnistes, proche de l’extrême droite et pour qui « l’emploi des armes chimiques ou les massacres de civils » représentent des « mensonges éhontés ». Autant de connexions qui n’ont pas choqué Le Média, site alternatif de gauche qui se veut pourtant « humaniste et antiraciste ».

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Collectif citoyen francophone contre la désinformation sur la Syrie : des faits et du contexte ! https://twitter.com/SyrieFactuel